Une affaire de crachat

Il est une croyance bien répandue que le droit, ce n’est que de l’étude. Qu’il suffît d’avaler et recracher des livres et des codes pour que le tour soit joué. Au contraire, le juriste apprend à faire vivre les règles figées dans les bouquins, à les tourner, les retourner, voire les détourner, afin qu’il en ressorte le résultat qu’il en attendait. Un juriste n’apprend pas des mots, il apprend leur manipulation.

Et c’est justement cette formation qui permet parfois de ressortir de vieilles lois que l’on pensait désuètes dans des situations d’aujourd’hui. La « situation sanitaire actuelle » - expression favorite des médias en 2020 – offre un exemple frappant de cette manière de penser : 

Au début de la crise du covid-19, un badaud a cru très malin vouloir défier les règles en vigueur en crachant – littéralement - au visage d’un policier. La justice s’est aussitôt emparée de l’affaire, estimant que ce geste ne devait pas rester impuni.

 

Cependant, un problème se posa de suite ; comment punir une personne qui crache le potentiel covid-19 qu’il porte en lui à la figure de quelqu’un ? Comment qualifier l’acte commis ?

 

Vous me direz : « il suffit de créer une nouvelle loi qui énoncerait qu’il est interdit de cracher sur quelqu’un en temps de covid-19 dans le but de le contaminer ! ». Mais c’était sans compter le principe de non-rétroactivité de la loi et l’adage bien connu nullum crimen, nulla poena, sine lege - à savoir ‘nul crime, nulle peine, sans loi’ (on aime bien se la péter en droit, du coup l’adage est en latin, voilà).

 

Cela veut dire que pour commettre un crime, il faut non seulement que ce dernier existe, mais surtout, qu’il existe au moment de sa commission. Ce qui ne serait pas le cas pour notre cher monsieur si cette loi venait à sortir après son acte. Il a donc fallu chercher ailleurs. Et ailleurs, cela signifie dans les lois déjà existantes.

 


Ni une ni deux – réflexe de juriste aguerri – le Code pénal belge fût ouvert et parcouru de haut en bas. Là, le Saint-Graal attendait sagement d’être découvert : l’article 397, dont la tentative est également punissable.

 

« Art. 397. Est qualifié empoisonnement le meurtre commis par le moyen de substances qui peuvent donner la mort plus ou moins promptement, de quelque manière que ces substances aient été employées ou administrées. Il sera puni de la réclusion à perpétuité ».

 

L’empoisonnement. Bingo. Une loi vieille comme le monde, née sous la gouverne de parlementaires effrayés de la nourriture que leur servait leur épouse lors du repas (c’est bien connu, le poison est l’apanage des femmes et des eunuques. Vous ne regardez pas Game of Thrones ?), a refait son apparition lors de crise du coronavirus en 2020.


Et ça, c’est magnifique.  

Commentaires

  1. Intéressant de voir comment les Anglais vont résoudre la même question .... après qu’une employée des chemins de fer londoniens, victime d’un crachat par un individu se prétendant atteint du Covid, décédât ce 22 mai, atteinte du virus (source BBC).

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  2. Chouette article! Bien écrit, court et intéressant!

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